Un avis personnel de notre ami Charles-Henri Ramond,
Mardi, dans les colonnes du Journal La Presse, le réalisateur anglo-montréalais Jacob Tierney (The Trotsky) faisait une sortie remarquée à propos du cinéma québécois, le traitant tour à tour de «homogène» et de «blanc et francophone». Comme il fallait s’y attendre, les réactions furent nombreuses et La Presse en a majoritairement été le véhicule (1). En tant qu’immigrant amateur de cinéma québécois, je me permets de vous livrer une impression toute personnelle.
Communautés culturelles vous dites?
Arrivé au Québec avec le bogue de l’an 2000 et vivant depuis 2002 dans un quartier d’immigration (2), vous imaginez bien que la réflexion de Tierney a éveillé en moi une mini-émotion. Émotion teintée d’une certaine joie de lire enfin quelqu'un qui ose un discours, certes politiquement incorrect, mais d’une vérité qui tient presque de la lapalissade.
Car si la présence des communautés culturelles est relativement présente dans le documentaire québécois, il en va tout autrement dans le cinéma de fiction. En effet, que voit-on des communautés hispanophone, haïtienne, maghrébine, chinoise ou pakistanaise? Depuis dix ans, les films qui ont abordé de front ces pans de notre culture sont relégués au rang d’exception ultra minoritaire.
Certes quelques exemples existent. Citons entre-autres : L’Ange de goudron (Denis Chouinard, 2001) sur l’immigration maghrébine, Le neg’ (Robert Morin, 2002) sur les difficultés d’un jeune haïtien dans le Québec rural, Ce qu’il faut pour vivre (Benoît Pilon, 2008), Before tomorrow (Madeline Ivalu, Marie-Hélène Cousineau, 2009) et 1981 (Ricardo Trogi, 2009) sur l’intégration d’un jeune d’origine italienne. Hormis ces films quels sont ceux qui ont mis de l’avant l’expression d’une communauté? Et pas juste de façon accessoire comme Mambo Italiano par exemple. Peu, très peu. En tout et pour tout, ils doivent être une quinzaine sur plus de 250 films produits dans la dernière décennie. Calculez vous-même le pourcentage (3).
On verra si Bum Rush (Michel Jetté) et Sortie 67 (Jephté Bastien) parviennent à voir le jour sur nos écrans. À ma connaissance, ils seraient les premiers à planter leurs décors dans la communauté haïtienne de Montréal.
Et ce n’est pas parce qu’un film produit avec des fonds québécois se transporte à l’étranger qu’il véhicule pour autant l’image du Québec multiculturel (Littoral, Incendies, La cité, À quelle heure le train pour nulle part et quelques autres). On a beau être outré, cela n’empêche pas que le cinéma québécois ne tient que très peu compte des composantes extérieures de la société dans laquelle nous vivons. Et ce n'est pas du «bashing» pour reprendre l'expression consacrée.
Cette semaine Piché est sorti sur les écrans et devinez quoi, dans le rôle de la femme française du commandant : une actrice québécoise. Et qu’a-t’on reproché dans la presse à ce sujet? Le fait de faire jouer une «étrangère» par une actrice d’ici? Non, pas pantoute, mais son accent oui par exemple! Dois-je en conclure que certains auraient préféré que Mme Prégent(4) joualifie un peu ses répliques pour paraître moins bizarre? C’est gênant quand même.
Et pourtant ils tournent!
En ce qui concerne l’autre remarque de Tierney soit l’ignorance du cinéma anglophone québécois, la situation n’est guère plus reluisante. Tandis que les films de Catherine Martin (5) et de Sylvain Archambault (6) profitent de l’ultra convergence des médias en s’illustrant à maintes reprises sur les fils de nouvelles, Peepers, film québécois du réalisateur Seth W. Owen a droit à sa première le 14 juillet, soit la semaine prochaine... dans la plus grande indifférence (7).
Qui du public en a entendu parler en dehors de quelques amis anglos sur la page Facebook? Lequel des susdits médias a osé un article pour présenter ce «petit» film pourtant bien de chez nous? Bien entendu la réponse est : personne. Pas un journaliste ne s’est penché sur le film afin de le présenter au public québécois francophone. De mémoire récente, citons Who is KK Downey, film anglo-québécois sorti lui aussi plutôt anonymement à l’hiver 2008. Si ces films avaient été francophones ils auraient pourtant eu droit à une visibilité, si minime soit-elle, comme c’est le cas d’habitude pour les films indépendants produits en français (8). Et la situation ne date pas d’hier. Les films de Paragamian ou de Shbib dans les années 90 avaient droit au même traitement de la part des médias francophones. Alors, oui, force est de constater que le cinéma anglophone québécois est ignoré. Tierney ne fait que souligner un fait.
À qui la faute?
Bien malin celui qui aurait une réponse. Ne sommes-nous pas devenus frileux? À la fois comme créateurs et comme spectateurs. À force de copier-coller des recettes préfabriquées, ne finit-on par oublier qui on est et par mettre de côté tout un pan de notre réalité? À force de vouloir subventionner à tout crin les machines à succès, et à plaire à tout prix pour rentabiliser ces financements, ne rend-on pas le spectateur de moins en moins ouvert? Je n’en sais rien, mais derrière les tollés de protestation que la réflexion de Tierney provoque et continuera de provoquer, il y a bel et bien le sentiment de l’oubli que certains ressentent et qui fait en sorte que de plus en plus le public pourrait se désolidariser de notre cinématographie. Sans être toute noire ou toute blanche, la situation a quand même de quoi faire réfléchir. L'écarter du revers de la main ne réglera rien. S’il ne veut pas laisser toute la place aux blockbusters américains aseptisés, le cinéma québécois n’aura d’autre choix que d’aller puiser dans la réalité de la société telle qu’elle est aujourd’hui et de se rapprocher de ses communautés. Se construire une identité... un large débat et un défi de taille si vous voulez mon avis.